La Charte des Nations Unies adoptée le 26 juin 1945 à San Francisco porte la marque du moment historique où elle a vu le jour : à l’issue d’un conflit mondial dévastateur, les puissances victorieuses, encore unies mais suspicieuses des intentions les unes des autres, entendent mettre en place une institution qui leur permettra de prévenir tout conflit à venir – entre elles notamment – en agissant de concert par tous les moyens nécessaires. Comme cela est le cas pour toutes les grandes ambitions, les circonstances en ont décidé autrement et l’organisation universelle n’a pas cessé de se transformer au fil des 80 ans de son parcours. Chaque étape a conduit à remodeler le projet initial pour l’enrichir et remodelé le projet. La guerre froide, la décolonisation, la revendication par les pays du Sud d’un ordre économie international plus juste et équitable, la disparition de l’Union Soviétique et la montée des enjeux planétaires ont ainsi conduit à renforcer les moyens de l’organisation et à la restructurer, notamment lors du Sommet mondial historique de 2005, qui a vu la création d’un pilier consacré à l’environnement durable et d’un autre renforçant la protection des droits humains.
Tenue à l’écart des rapports fluctuants entre les grands empires, l’ONU a construit un système très riche autour de dizaines de fonds et programmes et d’institutions spécialisées thématiques, s’est investie dans la résolution de multiples conflits locaux dans les questions de développement économique et social ainsi que dans la promotion des droits humains, la défense du droit international et la réponse à apporter aux enjeux globaux. Sans pareille en raison de sa composition universelle, et de sa légitimé tirée de la Charte de 1945, de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et de l’immense travail de codification d’un droit international qui couvre aujourd’hui l’ensemble des activités humaines ou presque, l’ONU est devenue un lieu unique où peuvent être évoqués les biens communs de l’humanité et le devenir de la planète. Parvenue à un nouveau moment critique de son histoire, elle fait plus que jamais office tout à la fois de miroir de l’état du monde et de boussole pour son avenir. Elle mérite un sursaut d’attention de d’engagement de la part de tous les acteurs concernés par notre avenir.
A l’image d’Atlas condamné à porter la voûte céleste, l’Assemblée Générale de l’ONU est le lieu où s’expriment les tensions et les problèmes qui bouillonnent entre tous les Etats qui la composent et où se nouent les coalitions de circonstances entre eux, dépassant presque toujours les clivages liés à leur taille, à leur régime politique ou leur choix économiques et sociaux. Les quatre cent résolutions qu’elle adopte chaque année, les grandes conférences thématiques qu’elle organise ou parraine depuis les années 1990, servent de miroir à une planète en proie à des mutations constantes. A défaut d’être fondée sur des gouvernements toujours démocratiques, l’Assemblée Générale fournit une tribune pour tous les Etats et pour des organisations, parfois de la société civile, qui y trouvent la possibilité unique de s’exprimer à l’ombre des empires. Elle esquisse ce que pourrait être un Parlement du Monde.
Passé le moment hégémonique américain, le Conseil de Sécurité, figé dans sa composition actuelle malgré des années d’efforts pour en élargir la composition, abat un travail considérable en pilotant l’action de l’organisation dans une myriade de crises. Il réagit comme le baromètre des relations entre les trois empires du moment et conserve une autorité unique. Tenu à l’écart des plus grandes affaires par ceux-ci, il préserve la fonction originelle de l’organisation, celle de veiller, en dernier ressort, au maintien de la paix et de la sécurité internationale, ainsi qu’aux efforts de prévention des conflits, de gestion des sorties de crises, de reconstruction et de consolidation de la paix.
Au sein des organes de l’Assemblée Générale et de chacune des seize organisations spécialisées qui sont autant d’éléments de l’archipel onusien, les Etats et toutes les forces qui les stimulent participent à une forme de démocratie globale active qui définit des normes nouvelles, choisit des programmes d’action, en fixe les budgets et en évalue les résultats. Au fil des crises, le concept de sécurité s’est s’enrichi dans ses composantes économiques, environnementales, humanitaires, de genre et toutes les composantes du système ont appris à travailler de concert. Les Nations Unies ont acquis le rôle de gardien et d’aiguillon en matière de droits humains, d’action humanitaire et de justice pénale sur toute la planète, avec le soutien actif de la société civile internationale.
Si et quand les Etats y consentent et lui en accordent les moyens, le système des Nations Unies fournit un ensemble de réponses sur le terrain, dans l’urgence comme dans la durée, au service des victimes des conflits et des catastrophes, en faveur de la paix et du développement. Les Objectifs de Développement Durables, que tous les États du monde se sont engagés à atteindre d’ici à 2030, sont les indicateurs universels qui peuvent mesurer les progrès accomplis. Le continent africain a été le principal bénéficiaire de cet engagement depuis plusieurs décennies.
Autour du Secrétaire Général et à travers le système, des fonctionnaires engagés et impartiaux cultivent le savoir-faire et la mémoire des actions mandatées par les Etats. Cette phalange aide à penser et à proposer des solutions autour des grands enjeux planétaires. Elle a inspiré le Pacte pour l’Avenir et la Déclaration pour les Générations Futures adoptés par l’Assemble Générale en septembre 2024. D’un bout à l’autre de l’année, se réunissent les conférences de suivi des grandes Conventions consacrées au climat, au développement durable, à la biodiversité, aux océans, au développement social, à l‘espace. Tel est l’autre volet, souvent mal perçu de l’ONU et de son système : ils fournissent le cadre dans lequel les États et tant d’ autres intervenants s’efforcent de tracer les grandes lignes et de bâtir un avenir partagé. Ils présentent une boussole pour naviguer face à des défis immenses.
L’heure est hélas au désaveu de l’ONU dans beaucoup de pays, en raison en particulier du révisionnisme des trois grandes puissances. Le multilatéralisme a pourtant largement contribué, depuis des décennies, à favoriser leur développement. Mais les grands pays du Sud, tout comme l’Union européenne, qui ont émergé et réclament aujourd’hui d’occuper toute la place qui leur revient dans les systèmes de régulation ou de gestion du monde, n’entendent plus se plier à leurs seules volontés. Le système se trouve donc dans l’obligation de repenser son format à venir dans la perspective d’une diminution de ses ressources et d’une remise en cause des principes sur lesquels il est fondé. Cela interpelle tous les soutiens de la famille onusienne , au premier chef la France et l’UE, car il s’agit de préserver un trésor pour l’humanité et une clé pour son devenir. Dans un monde multipolaire, menacé par de multiples crises globales, la concertation, l’action commune et la confiance dans des projets partagés paraissent plus nécessaires que jamais. L’ONU et son système en sont le visage et les instruments premiers, ils méritent de revenir au premier rang de nos ambitions. Les nouvelles générations du monde entier ont besoin d’une grade ambition collective, celle d’une planète réconciliée prenant à bras le corps les immenses défis globaux qui les concernent. Sachons leur préparer la voie.
A Paris, 26 juin 2025,
Jean-Maurice Ripert, Président de l’AFNU
Marc Perrin de Brichambaut, Administrateur de l’AFNU