Allocution de

M. Bernard miyet, PRÉSIDENT DE L’AFNU,

aux rencontres DU développement durable

ODD 16: « Paix, justice et institutions efficaces »

Organisées par Open Diplomacy

Lors de sa création en 1945, trois objectifs fondamentaux ont été assignés à l’ONU: assurer la paix et la sécurité internationale, favoriser un développement économique et social juste et équilibré, promouvoir le respect des droits de l’homme. La Charte stipule des principes et valeurs dont, entre-autres, celui de non ingérence dans les affaires intérieures des Etats, destiné à laisser à chacun le libre choix de son système politique, économique et social en vue d’assurer la participation de tous au sein de la nouvelle organisation. Le dispositif institutionnel retenu se veut cohérent et global: le Conseil de Sécurité, le Conseil économique et social, ses organes subsidiaires et les institutions spécialisées, la Commission devenue Conseil des droits de l’Homme et l’ensemble des protocoles, comités et instruments mis en place sous l’égide du Haut Commissaire aux droits de l’Homme.

L’objectif du développement durable n° 16 s’inscrit parfaitement dans le dessein conçu par les rédacteurs de la Charte des Nations Unies, complétée par la Déclaration universelle des droits de l’homme trois ans plus tard. « Paix, justice et institutions efficaces » ne peuvent exister et prospérer de manière totalement indépendante, toute atteinte à l’un de ces piliers ayant nécessairement des effets négatifs sur les deux autres.

Dès sa prise de fonction en janvier 1997, Kofi Annan rappelait ainsi que « l’un des principaux enseignements tirés des 50 dernières années est qu’il est impossible d’instaurer la paix dans des sociétés accablées par l’extrême pauvreté, la dégradation humaine et l’oppression politique ». Parallèlement Desmond Tutu pouvait affirmer que « la paix est impossible sans la justice ». Tout se tient en effet mais la vie internationale n’est jamais un long fleuve tranquille.

En dépit des divisions idéologiques et conflits d’intérêts entre ses membres et malgré ses faiblesses et défauts intrinsèques, l’ONU a pu obtenir des résultats positifs dans le domaine du maintien de la paix, par l’adoption d’accords internationaux essentiels, grâce à une coopération cruciale dans les divers domaines couverts par les organes subsidiaires et les institutions spécialisées, enfin par l’attention portée au respect des droits de l’homme. La famille onusienne a permis de faire prendre conscience au monde entier des défis majeurs auxquels l’humanité est confrontée et de faire avancer, certes avec tâtonnements ou lenteur parfois, les discussions portant sur des dossiers cruciaux: environnement et changement climatique, catastrophes naturelles, accès à l’eau, migrations et protection des réfugiés, terrorisme et criminalité organisée. L’élan avait été donné dès 1992 avec la Conférence de Rio sur l’environnement, puis en 2000 lors du Sommet du Millénaire voulu par Kofi Annan où furent adoptés les Objectifs du Développement Durable.

Les nouveaux enjeux inhérents à la révolution numérique comme à l’exploration et l’exploitation des océans ou de l’espace extra-atmosphérique requièrent également l’existence d’un cadre institutionnel international et l’adoption de règles agréées. La paix et la justice dépendront dans le futur de la résolution concertée de ces questions.

Or un équilibre stable ne peut être atteint et préservé au niveau mondial qu’à la condition de disposer du soutien des Etats membres, et tout particulièrement des « Grands », lequel n’a jamais été pleinement acquis en raison d’atteintes flagrantes au droit international, de la pratique du double langage ou des tentations « impérialistes» dont ont fait preuve certains d’entre-eux, ou continuent de le faire comme l’invasion de l’Ukraine par la Russie le démontre tragiquement en ce moment même..

Les institutions onusiennes ont au fil des décennies été instrumentalisées, marginalisées ou paralysées par les Etats les plus puissants en fonction de leurs intérêts stratégiques nationaux, aucune n’ayant été épargnée par ces manœuvres. Leur crédibilité et leur efficacité en ont été entamées: un Conseil de Sécurité, non représentatif du monde actuel, à nouveau paralysé, un Conseil économique et social et ses organes subsidiaires depuis longtemps marginalisés, l’organe de règlement des différends de l’OMC bloqué, un Conseil des droits de l’homme critiqué et des valeurs dont l’universalité est contestée par des puissances autoritaires ou totalitaires.

L’établissement de relations économiques justes et équilibrées n’a pu se réaliser malgré les espoirs nés de la création de la CNUCED et de l’instauration d’un dialogue Nord-Sud dans les années 70. Ces tentatives se sont fracassées sur le mur de la vague néo-libérale et de son injonction dérégulatrice qui ont fragilisé la coopération et les institutions internationales. Le rouleau compresseur d’une globalisation sans cadre ni frein a tout emporté sur son passage laissant la plupart des gouvernements démunis. Dans nombre de pays pauvres, l’inexistence de structures étatiques solides et l’absence de juridictions fiables ont favorisé corruption et mal gouvernance , plaies de ces pays, en prélude à la décomposition de ces États, à la guerre civile et à son cortège d’horreurs.

En lieu et place d’une « mondialisation heureuse », nous assistons à l’envolée des inégalités au sein de tous les pays, à la réactivation de guerres économiques et commerciales, à la multiplication des sanctions unilatérales, à la montée du protectionnisme, à la percée des mouvements populistes et nationalistes, à des menaces militaires sur fond d’accès aux marchés de matières premières et de produits énergétiques ou technologiques. Le postulat selon lequel la libéralisation des flux commerciaux et financiers conduirait inévitablement à la paix et à la justice a fait long feu.

Avec la Déclaration universelle des droits de l’Homme,les protocoles additionnels, les multiples mécanismes indépendants puis l’institution du Haut Commissariat aux droits de l’Homme, il était loisible d’imaginer que l’ONU disposait d’instruments adaptés pour promouvoir le respect des droits de l’Homme et des libertés individuelles. Mais ayant ignoré la pensée de Blaise Pascal selon laquelle « la justice sans la force est impuissante et la force sans la justice est tyrannique », les négociateurs de la Charte ont condamné ces instances à une relative impuissance en ne conférant aucune force obligatoire à leurs recommandations. Des avancées ont certes pu se réaliser depuis les années 90 avec la mise en place des Tribunaux spéciaux pour l’ex Yougoslavie puis avec la création de la Cour pénale internationale, mais il convient une nouvelle fois de relever que les trois « Grands » n’ont pas reconnu la compétence de cette dernière pour ce qui les concerne.

La mise en cause du droit international par les grandes puissances, l’affrontement entre régimes autoritaires et démocraties libérales, la persistance des inégalités entre le Nord et le Sud tout comme au sein de chaque pays, la fragilisation des institutions internationales sont inévitablement sources d’inquiétudes et porteuses de risques et de conflits.

C’est pourquoi il importe de revenir aux ambitions originelles et aux valeurs et principes de la Charte des Nations Unies et de réaffirmer que le multilatéralisme est plus nécessaire que jamais. Il faut tout autant préserver et renforcer les acquis cruciaux que sont les Conventions sur le changement climatique, la biodiversité et la désertification ou naturellement les Objectifs du Développement Durable. Pour ce faire la mobilisation continue de la société civile, des ONG, des collectivités territoriales, des entreprises et de la communauté scientifique est essentielle face à des gouvernements parfois pusillanimes ou franchement rétrogrades.

Il convient que les Etats réapprennent à dialoguer et négocier de manière inclusive et respectueuse de chacun, à définir et adopter des règles concertées et à respecter le droit international, tout particulièrement par les plus puissants. Le monde a plus que jamais besoin d’institutions internationales reconnues et d’une gouvernance mondiale efficace pour répondre aux défis que l’humanité doit relever.