La quête de l’eau : une question de paix et de sécurité internationales – L’ONU et ses enjeux sur tous les fronts

par Oihana DA ROCHA, Luana NILSEN, Mallé FALL SARR et Louino VOLCY, étudiants de Madame le Professeur Lagrange, Master 2 Administration internationale, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, promotion 2019-2020.

« La pénurie d’eau est une question de vie ou de mort ». Tels sont les mots prononcés par Antonio Guterres à l’occasion de la publication du  rapport « Faire en sorte que chaque goutte compte: un programme d’action pour l’eau ». Ce rapport, publié en 2018, a d’ailleurs sonné comme un véritable cri d’alarme, appelant un changement fondamental pour éviter les conséquences dévastatrices de cette pénurie d’eau. Pourtant, les initiatives des Nations unies pour répondre aux conséquences du manque d’eau existent depuis longtemps. A ce titre, rappelons seulement que depuis la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (CNUED) à Rio de Janeiro en 1992, le 22 mars marque la Journée mondiale de l’eau organisée par les Nations Unies.

La thématique de l’eau et de l’assainissement est d’autant plus centrale qu’elle est inscrite au sixième objectif de développement durable de l’Agenda 2030 adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies. En effet, en 2015, les Etats membres de l’ONU ont adopté le Programme historique 2030 fixant des objectifs ambitieux et des cibles universelles que la communauté mondiale doit s’attacher à réaliser. L’ambition première du sixième objectif de développement durable dont l’intitulé intégral est « Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau » consiste  à « assurer un accès universel et équitable à l’eau potable à un coût abordable » d’ici 2030.

Situé au cœur des préoccupations globales et onusiennes depuis plusieurs années, l’enjeu reste pourtant de taille : à ce jour, un tiers de la population mondiale n’a pas accès à des services en eau potable qui soient gérés en toute sécurité et six personnes sur dix n’ont pas accès à des installations sanitaires. A cela s’ajoute le fait que des millions de personnes meurent chaque année de maladies causées par l’eau et la pollution de l’eau, dont 340 000 enfants en 2019. Ces chiffres témoignent en outre des inégalités profondes existant au sein des régions, des pays, des communautés ou même de certains quartiers.

Mais qu’entend-on par l’accès à l’eau ? Cette notion fait référence à la façon dont l’eau est physiquement fournie ou obtenue. A ce titre, le premier moyen de transport pour acheminer l’eau dans les régions fortement peuplées est la canalisation. En l’absence de réseaux de canalisations, les populations dépendent principalement de puits ou d’autres moyens de distribution tels que des vendeurs d’eau ou des camions-citernes. Le problème devient alors que le prix de cette eau, souvent de moins bonne qualité, est beaucoup plus élevé, ce qui aggrave inévitablement les inégalités entre riches et pauvres défavorisées.

Ainsi, bien que les progrès se poursuivent, notamment depuis les années 1990, des milliards de personnes resteront dans l’incapacité de jouir de leur droit à l’eau et à l’assainissement et ne pourront profiter des nombreux bénéfices de l’eau. Le Rapport de synthèse sur l’Objectif de développement durable a ainsi démontré que le monde n’atteindra pas l’objectif n°6 d’ici 2030, notamment en raison de sa complexité, mais aussi à cause d’inerties politiques persistantes.

Pourtant, selon le Rapport mondial des Nations Unies, c’est un objectif qui est bien réalisable. La seule condition réside dans la volonté collective d’agir et l’établissement d’une gouvernance mondiale de l’eau. A terme, améliorer la gestion des ressources en eau ainsi que l’accès aux services d’approvisionnement et d’assainissement sera indispensable pour réduire les diverses inégalités sociales et économiques. Ces dernières décennies ont vu un renforcement de la demande d’une gestion intégrée des ressources en eau : l’évaluation de ces ressources étant d’une importance fondamentale pour la prise de décisions rationnelles, les capacités nationales pour procéder aux évaluations nécessaires doivent être soutenues sans réserve. 

La gestion collective de l’eau est également liée à d’autres problématiques : la paix et la sécurité mondiales, avec le risque de conflits interétatiques liés à l’eau mais aussi des tensions communautaires autour des cours et points d’eau dans les régions à forte croissance démographique risquant de dégénérer en conflits ; la remise en question de la capacité de certains États à assurer un accès à une eau suffisante et saine à leur population ; les migrations climatiques… Les tensions entre l’Égypte et l’Éthiopie autour du barrage de la Renaissance, les différents conflits et tensions résultant de l’assèchement du lac Tchad, les récentes manifestations en Irak ou au Chili pour l’accès à l’eau, le rationnement de l’eau en Australie ou en Afrique du Sud, la précarité sanitaire des populations manquant d’eau, plus dramatique encore en période d’épidémies comme celle du COVID-19… sont autant d’exemples de la nécessité pressante de trouver des solutions multilatérales aux problèmes liés à la gestion de l’eau, particulièrement dans le contexte des changements climatiques. Déjà en 2013, le Global Water Institute estimait à environ 700 millions le nombre de personnes souffrant de manque d’eau, dans 43 pays (Global Water Institute, Future Water (In)Security: Facts, Figures, and Predictions, 2013). Si on considère toutes les populations vivant dans des zones qui subissent des pénuries d’eau au moins un mois par an, on arrive au chiffre dramatique de deux tiers de la population mondiale. Ces populations sont essentiellement localisées en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Afrique subsaharienne, en Asie centrale, en Asie du Sud-Est, en Amérique centrale et dans les régions occidentales d’Amérique latine. En 2017, l’UNICEF estimait que d’ici 2040, un quart des enfants de moins de 18 ans dans le monde, soit près de 600 millions de personnes, vivrait dans des zones où le stress hydrique sera extrêmement élevé.

Le 22 mars 2019, le thème de la Journée Mondiale de l’eau organisée par les Nations Unies était « L’eau et les changements climatiques ». Comme chaque année, c’est aussi la date de la publication par ONU-Eau[1] du “Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau”. La relative méconnaissance de cette date symbolique témoigne d’un certain manque d’information autour des initiatives des Nations Unies et de leurs agences spécialisées en faveur d’une gestion collective et responsable des ressources en eau. La pertinence du thème choisi cette année par les Nations Unies n’est que renforcée par la hausse particulièrement perceptible des températures dans les trois ou quatre dernières décennies, de l’assèchement des cours d’eau partout dans le monde et de la popularisation du débat sur les effets du changement climatique. L’action des Nations Unies gagnerait à être mieux connue dans ce contexte et participerait au rapprochement des institutions onusiennes et des populations.

Quel rôle jouent les Nations Unies dans la gestion collective des ressources en eau, la médiation pour éviter que les tensions autour de l’eau ne dégénèrent en conflits ? Quels organes des Nations Unies prennent en charge les questions liées à l’eau et comment s’organise leur coordination ? À quels défis devront faire face les Nations Unies pour parvenir à des solutions efficaces pour la gestion de l’eau face à la croissance démographique rapide dans certaines régions et aux changements climatiques ? Autant de questions cruciales pour l’un des défis majeurs du 21e siècle et pour les Nations Unies qui devront nécessairement jouer un rôle central pour garantir la paix mondiale et assurer la sécurité et le bien-être des populations…

La prise en charge de la question de l’eau par les agences de l’ONU.

Élément essentiel à la vie et à la santé, « l’accès à l’eau et à l’assainissement est un droit fondamental, indispensable à la dignité de chaque être humain. » Dans cette perspective, les Nations Unies ont toujours considéré qu’en raison de la valeur de l’eau dans de nombreux secteurs, la collaboration était essentielle pour éviter la fragmentation des efforts. 

A ce titre, l’eau et l’assainissement sont des éléments  cruciaux dans l’ensemble des domaines d’intervention des institutions du système des Nations Unies, reflétant l’importance de leur rôle dans des secteurs comme la santé, la nutrition, l’égalité des sexes et l’économie. Les efforts menés pour coordonner ses activités sur les questions liées à l’eau ont débuté dès 1977, puis ont été poursuivis par le Sous-Comité des ressources en eau du Comité administratif de coordination (le CAC). 

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Ainsi, dès les années 1970, une série de conférences internationales portant sur l’environnement ou sur l’eau ont soulevé la question de l’accès aux ressources de base et au droit à l’eau, notamment la Conférence des Nations Unies sur l’eau (1977), la Décennie internationale de l’eau potable et de l’assainissement (1981-1990), la Conférence internationale sur l’eau et l’environnement (1992) ou la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (1992). 

En 1998, la sixième commission sur le développement durable faisait déjà état d’un besoin global d’évaluations mondiales et régulières sur la disponibilité des ressources en eau douce. En d’autres termes, est apparue la nécessité d’une gestion des ressources en eau selon une approche intégrée, plaçant dès lors ces évaluations au cœur de cette stratégie. En effet, cela permettrait de procéder à des prises de décisions fondées sur des données réelles et réalistes. 

Ainsi, en 2000, les organisations membres de l’ONU-Eau ont lancé un processus d’évaluation continu en mobilisant l’ensemble du système des Nations Unies nommé “Programme mondial pour l’évaluation des ressources en eau” (en anglais, le WWAP, World Water Assessment Programme). Ce programme coordonne la production du Rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau, publié tous les trois ans, et permet de rendre compte de l’état des ressources en eau douce partout dans le monde. 

Le Rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau (WWDR) publié en 2019 suggère à ce titre que le respect des droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement pour tous peut contribuer de manière significative à la réalisation de plusieurs objectifs dont la sécurité alimentaire et énergétique, le développement économique et un environnement durable. Cette initiative onusienne qui s’inscrit dans l’Agenda 2030 pour le développement durable encourage précisément l’amélioration de la gestion des ressources en eau ainsi que l’accès aux services d’approvisionnement afin de réduire les inégalités et d’éliminer la discrimination. A cet égard, le premier objectif du programme ONU-EAU est de ne « laisser personne pour compte ».

ONU-EAU

Cette année, ONU-EAU célèbre ses 17 ans d’existence. Héritière du sous-Comité des ressources en eau du Comité administratif de coordination (le CAC), ONU-EAU désigne le mécanisme de coordination inter-institutionnel des Nations Unies s’occupant des questions relatives à l’eau douce, y compris son assainissement. Résultant de la nécessité d’une approche cohérente et coordonnée, ONU-Eau a été officialisée en 2003 par le Comité de haut niveau des Nations Unies sur les programmes. Il a ainsi été créé afin de valoriser les initiatives des Nations Unies, en favorisant la coopération et le partage de l’information entre les organisations existantes et les partenaires extérieurs. A ce jour, ONU-Eau réunit trente-deux agences de l’ONU ainsi que quarante et un partenaires internationaux.

Quel est son mandat ?

Les trois objectifs principaux poursuivis par ONU-EAU visent à orienter les politiques, à assurer leur suivi, à établir des rapports et à encourager l’adoption de mesures. 

Dans le cadre de sa première fonction d’orientation des politiques, ONU EAU oeuvre à fournir aux Etats membres un conseil politique et technique sur les questions liées à l’eau et à l’assainissement. A ce titre, ONU EAU a pour mandat de promouvoir un échange d’informations fructueux, en veillant à ce que les activités et les avancées mondiales et régionales s’appuient mutuellement et en encourageant le travail interorganisations en réseau à l’échelon régional. 

Dans le cadre de sa deuxième fonction de suivi et établissement de rapports, ONU-Eau s’attelle à fournir les meilleures données et des informations cohérentes et fiables sur les principales tendances dans le domaine de l’eau et de sa gestion. A ce titre, l’une des responsabilités clés d’ONU-EAU est de suivre les progrès réalisés afin d’atteindre les cibles fixées par la communauté internationale dans les domaines de l’eau et de l’assainissement et de produire des rapports, en s’intéressant plus particulièrement aux cibles définies par les objectifs du Millénaire pour le développement. 

Quels sont les objectifs de développement durable soutenus par ONU-EAU ?

Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et ses dix-sept objectifs de développement durable ont pris en compte les liens entre l’eau et l’assainissement avec les autres secteurs de développement. En tant que ressource essentielle au développement durable, ces deux domaines sont inclus dans tous les objectifs de développement durable. Dans le cadre de cette approche intégrée et synergique instaurée par l’Agenda 2030, ONU-EAU soutient chacun de ces objectifs, bien qu’une affiliation plus étroite avec l’objectif de développement durable n°6 (Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau) soit établie.

A ce titre, ONU-EAU contribue à l’examen de l’ensemble de ces objectifs de développement durable ainsi qu’au forum politique de haut niveau sur le développement durable. Elle s’emploie également à communiquer des données consignées dans les rapports sur ces questions, à intégrer les questions de l’eau au sein d’autres accords historiques existants (comme par exemple au sein du Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030). Enfin, elle s’attache à démontrer les effets néfastes du changement climatique sur les ressources en eau, notamment dans le cadre de sa collaboration avec la Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

Afin de renforcer la coopération mondiale et l’attention du public, l’Assemblée générale a proclamé la Décennie internationale d’action « L’eau, source de vie » (2005-2015). La Décennie internationale de l’eau potable et de l’assainissement, par exemple, a permis à 1,3 milliard de personnes d’avoir accès à l’eau douce dans de nombreux pays en développement. Les accords récents relatifs à l’eau comprennent le Programme de développement durable à l’horizon 2030, le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030), le Programme d’action d’Addis-Abeba, issu de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement, et l’Accord de Paris 2015 dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques.

L’ONU dans la résolution des conflits liés à l’eau

L’eau est une ressource renouvelable mais inégalement répartie. En effet, la géographie de l’eau, c’est-à-dire les divisions entre bassins versants et la distribution de la ressource au niveau mondial, n’est quasiment jamais superposable aux frontières nationales. 145 pays ont au moins une partie de leur territoire située dans un bassin transfrontalierIl existe plus de 270 bassins fluviaux partagés au niveau international. Cette interdépendance est susceptible d’engendrer des tensions sur la répartition de cette ressource vitale. Selon l’Organisation des Nations Unies,  seuls 158 des 263 cours d’eau internationaux sont couverts par un cadre de coopération.

L’eau assure une fonction transversale et indispensable pour les activités domestiques, agricoles et industrielles et joue un rôle majeur pour la santé publique, la sécurité alimentaire, l’énergie et les services éco-systémiques, les risques de conflits relatifs à l’eau existent bel et bien et peuvent alimenter des tensions transfrontalières de nature à nuire à la paix, à la stabilité sociale et politique comme  au développement. Dans son rapport 2015 sur les risques mondiaux, le Forum économique mondial a identifié les crises liées à l’eau comme le risque le plus important. « Les prochaines guerres seront conduites pour l’eau », annonçait en 1995 Ismail Serageldin, alors président de la Banque Mondiale. Ces considérations  pourraient s’expliquer par le fait que l’eau est devenue une ressource stratégique pour des puissances hydrauliques comme l’Egypte, l’Afrique du Sud ou Israël. Actuellement, les tendances mondiales relatives à l’évolution démographique, à l’augmentation de la consommation en eau et à l’amplification des effets néfastes des changements climatiques sont susceptibles de multiplier les situations de stress hydrique et d’alimenter les risques de conflits relatifs au partage des eaux transfrontalières.

De nos jours, à un titre ou à un autre, les ressources hydriques  sont évoquées  dans plusieurs points de tensions dans le monde. En effet, elles constituent une source de différends entre Israël et les Territoires palestiniens et s’érigent comme l’une des clés des négociations en vue de la création d’un futur Etat palestinien. Selon le rapport du député français Jean Glavany remontant à décembre 2011 sur la géopolitique de l’eau, « au Proche-Orient, l’eau est plus qu’une ressource, c’est une arme ». Selon la Banque Mondiale, 90 % de l’eau en Cisjordanie est utilisée aujourd’hui par la population israélienne, qui n’en laisse que 10 % à la population palestinienne. Il en va de même pour la Turquie qui a construit 29 barrages en Anatolie cristallisant ainsi des tensions avec ses voisins syrien et irakien. Mais la situation s’est un peu  améliorée avec la conclusion d’un accord sur les volumes d’eau en marge du dernier Forum mondial de l’eau à Mexico, en 2006. De telles considérations sont aussi valables pour l’Egypte qui craint que la construction du grand barrage de la Renaissance, un projet de 4 milliards de dollars entamé en 2012 par l’Ethiopie, n’entraîne une réduction du débit du Nil, dont elle dépend à 90 % pour son approvisionnement en eau. Des négociations relatives à ce projet se sont déroulées pendant plusieurs années mais se sont soldées par des échecs. En février 2020, le gouvernement éthiopien s’est retiré à la dernière minute des pourparlers  qui ont abouti, sous la médiation des Etats-Unis et de la Banque mondiale, à la conclusion d’un accord entre l’Egypte et le Soudan concernant le remplissage et l’exploitation dudit barrage. Dénonçant la volonté de  l’Ethiopie de remplir, avec ou sans l’accord des deux autres pays, le réservoir du barrage à partir de juillet 2020 et considérant le projet du barrage comme une « menace existentielle », l’Egypte a demandé, le 19 juin 2020, au Conseil de sécurité d’assumer ses responsabilités en tant que garant principal de la paix et de la sécurité internationales en appelant l’Ethiopie à reprendre les négociations autour dudit projet et en l’exhortant à s’abstenir de tout acte unilatéral concernant le barrage. Les négociations n’ont pas pu déboucher sur un accord en 2020 et devraient être relancées en 2021, alors que l’Ethiopie a déjà entamé le remplissage du barrage. Il en résulte donc que l’eau est devenue un enjeu majeur des relations internationales du monde contemporain et constitue un sujet de préoccupations de plus en plus vives pour l’humanité.

Si les risques de tensions relatives aux ressources hydriques sont susceptibles d’entraîner des situations pouvant nuire à la paix et à la sécurité internationales et de porter atteinte aux principes du bon voisinage, du règlement pacifique des différends, et du non-emploi de la force dans les relations internationales, l’eau peut aussi se transformer en un objet de collaboration. Dès lors, il est important de braquer nos projecteurs sur le rôle et les actions de l’Organisation des Nations Unies dans la gestion collective des ressources hydriques.

En effet, en tant qu’organisation à portée universelle et à vocation générale, les questions portant sur les conflits liés aux ressources hydriques ne sauraient échapper au champ d’activité de l’Organisation des Nations Unies. Ce forum, le plus représentatif de la communauté internationale, conformément à sa mission de préservation de la paix dans le monde, a un rôle clé à jouer dans la prévention et la réglementation des tensions liées à l’eau car cette dernière comporte également un potentiel de coopération qui peut structurer l’« hydro-diplomatie ». Comme le Secrétaire général des Nations Unies l’a souligné en 2017, il existe un lien complexe entre les questions hydriques le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Ainsi, les problèmes soulevés par les conflits liés au partage des cours d’eau internationaux sont d’une portée internationale. Dès lors, leur résolution ne peut être envisagée que dans un cadre bilatéral ou multilatéral. C’est en cela que résident  le rôle  de la diplomatie multilatérale et l’importance des efforts de coopération régionale.

Sur le plan normatif, l’Organisation des Nations Unies est à l’origine d’un ensemble d’initiatives visant à l’édification d’une réglementation internationale relative aux ressources hydriques et au développement de la coopération internationale en la matière. Elle a joué un rôle clé dans le développement progressif du droit international de l’eau. En effet, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le 8 décembre 1970 la résolution 2669 (XXV) relative au développement  progressif et à la codification des règles du droit international relatives aux voies d’eau internationales. Par l’entremise de cette résolution, cet organe plénier des Nations Unies a recommandé à la Commission du Droit International (CDI) d’entreprendre l’étude du droit relatif aux utilisations des voies d’eau internationales à des fins autres que la navigation afin de parvenir au développement progressif et à la codification de ce droit. Après de nombreuses années de travail, la commission a soumis à l’Assemblée générale des Nations Unies le texte de la Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation. Seul instrument juridique de portée mondiale qui incite à la coopération entre les États riverains, cette Convention a été adoptée par l’organe plénier de l’ONU le 21 mai 1997 et est entrée en vigueur en 2014. Dans ce même registre normatif, les Etats du continent européen ont adopté,  sous l’égide de la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies, la Convention d’Helsinki du 17 mars 1992 sur l’utilisation des cours d’eau transfrontaliers et des lacs internationaux en vue de prévenir et de lutter contre la pollution des cours d’eau transfrontaliers. Initialement limitée à l’Europe, cette Convention a été ouverte en mars 2016 à tous les Etats membres de l’Organisation des Nations Unies.

Pour ce qui concerne le Conseil de sécurité de  l’Organisation des Nations Unies, cet organe a déjà évoqué la question hydrique dans  des  résolutions relatives à la paix et à la sécurité internationales. En effet, dans sa résolution 242 du 22 novembre 1967 sur la situation au Proche-Orient consécutive à la guerre de six-jours, le Conseil de Sécurité a affirmé la nécessité « de garantir la liberté de navigation  sur les voies d’eau internationales de la région ». Il en est de même de la résolution 820 du 17 avril 1993 relative à la situation en Bosnie-Herzégovine dans laquelle le Conseil de sécurité a souligné que « c’est aux Etats riverains qu’il incombe la responsabilité de  prendre les mesures nécessaires  pour que la circulation fluviale sur le Danube soit conforme aux résolutions 713 (1991), 757(1992) et 787 (1992)  », lesquelles ont autorisé lesdits Etats à arrêter ou contrôler tous navires afin d’en contrôler la cargaison et d’en vérifier la destination. Dans sa résolution 1445 du 4 décembre 2002 relative à la République Démocratique du Congo, le Conseil de sécurité a exigé que « toutes les parties s’emploient à rétablir immédiatement la pleine liberté de mouvement sur le fleuve du Congo ».

Par ailleurs, l’Organisation des Nations Unies a pris des initiatives diplomatiques visant à discuter du rapport qu’entretiennent les ressources hydriques partagées et la paix et la sécurité internationales. En effet, le Conseil de sécurité a organisé le 22 novembre 2016 un débat public sur le thème « Eau, paix et sécurité ». L’idée générale qui a guidé cette initiative est de réfléchir aux moyens de faire de l’eau un domaine de coopération internationale plutôt qu’un « vecteur de conflits » dans un contexte où l’amenuisement des ressources hydriques exacerbe les tensions à l’heure du changement climatique et de l’expansion démographique. Dans cette même dynamique, le Conseil de sécurité a également organisé, le 6 juin 2017, une séance de travail sur le thème : « La diplomatie préventive et les eaux transfrontières ». Visant à approfondir le débat public organisé en 2016, cette réunion a fait ressortir l’idée que l’eau doit être un motif de coopération et non de conflit. De plus, en ce qui concerne le différend relatif à la construction du barrage éthiopien et suite à sa saisine par l’Egypte, le Conseil de sécurité, après avoir organisé une réunion informelle par visioconférence le 22 juin 2020 pour évoquer les documents soumis par chacune des parties au différend, a tenu le 29 juin 2020 une deuxième rencontre virtuelle mais publique sur ce dossier avec la participation des trois Etats concernés. Si ces échanges n’ont donné lieu à aucune résolution, les membres du Conseil ont, par ailleurs, soutenu la démarche de l’Union Africaine pour faciliter la poursuite des négociations entre les protagonistes. 

Il en résulte que les efforts de l’Organisation des Nations Unies relatifs à la gestion collective des ressources hydriques partagées sont considérables et se manifestent  principalement dans un cadre normatif et diplomatique. Selon le Secrétaire général de l’organisation, « les Nations Unies favorisent activement la médiation et le dialogue comme outils efficaces pour prévenir et résoudre les différends relatifs à l’eau et à d’autres ressources naturelles ». S’il n’existe pas encore de résolutions thématiques adoptées par le Conseil de sécurité sur les eaux transfrontalières, les implications de la question hydrique sur la paix et la sécurité internationales constituent un cadre d’action très vaste pour l’Organisation des Nations Unies ainsi que pour ses agences.