Note d’orientation du Secrétaire général de l’ONU sur la Covid-19 et les droits de l’homme

Au moment où un cessez-le-feu de deux semaines souhaité au Yemen vient d’expirer et où la France et les Nations Unies entrent dans une phase progressive de célébration des 75 ans de l’Organisation des Nations Unies (ONU), le Secrétaire général, António Guterres, a publié ce 23 avril 2020 une note d’orientation[1] dans laquelle il met en évidence six messages clés relatifs à l’urgence de protection des droits de l’homme face à la crise sanitaire de Covid-19. Ces six messages sont accompagnés de quinze recommandations. Au vu des récentes actualités internationales et des replis isolationnistes de plusieurs États, cette crise pourrait en effet malheureusement dégénérer, selon le Secrétaire général de l’ONU, en une crise mondiale des droits de l’homme tant les discriminations vis-à-vis des plus vulnérables et les conséquences de la pandémie dans le monde tendent à recouvrir, plus que jamais, l’ensemble des raisons d’être du système des Nations Unies (santé, paix, sécurité, développement, alimentation, éducation, habitat, environnement, culture, information, etc.).

            Face à ces défis considérables, l’interprétation des droits de l’homme mise en évidence par le Secrétaire général de l’ONU dans sa note d’orientation est guidée par le plan des Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’Agenda 2030 et se décline en six messages clés efficaces : 1) Protéger la vie des être humains, des femmes et des hommes, en protégeant leurs droits et moyens de subsistance ; 2) Protéger chaque être humain du Covid-19 et de ses conséquences en évitant toute forme de discrimination ; 3) Impliquer l’ensemble des acteurs (publics/privés) dans chaque réponse apportée à la crise sanitaire ; 4) Protéger les populations qui, à l’inverse du virus, ne sont pas une menace pour l’humanité ; 5) Éviter le repli et l’isolationnisme car il est impossible qu’un État puisse vaincre tout seul la pandémie ; 6) Lorsque la pandémie sera derrière nous, ce que le Secrétaire général nomme le « travail de relèvement« , nous devrons être meilleurs qu’avant, avec davantage de résilience. L’enjeu est de taille: il n’est pas acceptable que certains États profitent de la crise sanitaire pour réduire les droits humains, et il est inacceptable que ces mêmes États s’en servent comme d’un « prétexte pour adopter des mesures répressives à des fins sans lien avec la pandémie« [2].

            La note d’orientation souligne, à partir de données établies par l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO), les besoins urgents en termes d’éducation à l’heure où 191 pays ont fermé leurs écoles, aboutissant à la déscolarisation de près de 1,6 milliard d’enfants. Avec des données appuyées du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), elle cartographie la situation sanitaire dans les pays faisant principalement, pour l’heure, l’objet d’aides humanitaires par l’ONU (Afghanistan, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Colombien, Ethiopie, Haïti, Irak, Mali, Niger, Libye, Myanmar, Palestine, République démocratique du Congo, Ukraine, Somalie, Soudan, Soudan du Sud, Tchad, Venezuela, Yemen, Zimbabwe, etc.). Enfin, António Guterres y rappelle les deux précédents Appels qu’il a lancés aux États: l’Appel à l’action en faveur des droits humains[3] (24 février 2020) et l’Appel au cessez-le-feu immédiat et mondial (23 mars 2020).

            Sous l’angle de la dignité humaine et de la Déclaration universelle des droits de l’homme, pierre cardinale du travail de l’ONU, cette note, également titrée « We are all in this together » [« Nous sommes tous dans le même bateau« ], fait le point sur les ambitions et les urgences de protection des droits fondamentaux des femmes et des hommes afin de favoriser l’union de la famille des Nations Unies, États membres, parlementaires, entreprises, société civile, femmes et hommes de toute la planète. Par ailleurs, elle ne sous-estime pas, sans toutefois le mentionner explicitement, qu’en raison des désaccords au sein du Conseil de sécurité, et malgré le soutien indéfectible de la France à une «trève générale»[4], le P5 (Etats-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni) n’ait pas réussi à s’accorder sur le projet de cessez-le-feu[5], pourtant soutenu, outre brillamment par la diplomatie française, par 70 pays, dont certains en proie à la guerre et à des conflits armés depuis des décennies (Cameroun, Centrafrique, Colombie, Libye, Myanmar, Philippines, Soudan, Soudan du Sud, Syrie, Ukraine, Yemen, etc) ainsi que par d’importants chefs religieux. Mais les tensions relevées en Afghanistan (refus d’accord des Taliban avec le Président Ghani), au Yemen (refus d’accord par le groupe armé Houthi, Ansar Allah, dénonçant la coalition d’avoir violé l’accord initial par des attaques aériennes et d’artillerie) ou en Libye, n’ont laissé aucune chance à la diplomatie de la paix.

            La crise humaine que fait ainsi vivre la pandémie de Covid-19, doublée à l’impossibilité d’obtenir un cessez-le-feu mondial autant que des cessez-le-feu régionaux, risque donc de faire basculer le monde dans une crise des droits de l’humanité. A ce titre, la fermeture annoncée dans les semaines à venir, vraisemblablement fin avril-début mai, en raison de difficultés budgétaires, de quelques 30 des 41 programmes humanitaires parmi les plus essentiels des Nations Unies au Yemen, n’est guère rassurante. Le Secrétaire général adjoint de l’ONU aux affaires humanitaires (OCHA), Mark Lowcock, a ainsi précisé que ces difficultés impliqueraient, par exemple, la suppression de l’assistance fournie aux familles déplacées dans ce pays par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) ou la fin des programmes de nutritions des enfants yéménites assurés par le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM). De même, en tenant compte des 167 pays qui ont déjà fermé leurs frontières afin d’endiguer la propagation du virus et dont au moins 57 d’entre eux ne font aucune exception, même pour les requérants d’asile, les projections du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) n’inspirent guère confiance en un avenir serein pour les droits de l’homme. Ainsi que l’a déclaré Filippo Grandi, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), « la pandémie de coronavirus a aggravé le sort des personnes qui ont fui la guerre, les conflits et la persécution. Alors que les pays luttent pour protéger leur population et leur situation économique, les principes fondamentaux en termes de droits des réfugiés et de droits humains sont menacés« [6].

            Dès lors, dans cette période où paix, sécurité et multilatéralisme sont mis à rude épreuve par la pandémie de Covid-19, il revenait au Secrétaire général de l’ONU de produire outre les six messages clés évoqués, des recommandations plus sophistiquées sur les droits de l’homme. Comment les protéger ? Comment les mettre en œuvre ? Quelle proportionnalité respecter dans les situations d’urgences sanitaires ? Comment parler aux États alors que l’ONU est régulièrement pris pour cible, y compris sur le terrain ?

            Ces recommandations figurent à la fin de sa note d’orientation et sont nées du travail réalisé par le système des Nations Unies, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (OHCHR) et certains Rapporteurs spéciaux. Elles ont pour fonction d’éviter une crise des droits de l’homme dans les semaines et mois à venir. Elles insistent, de façon prioritaire, sur l’accessibilité et la qualité des soins de santé, le respect du droit à la vie, l’atténuation par les États des conséquences économiques de la crise autant que le maintien de filets de sécurité sociale et humanitaire pour les personnes les plus vulnérables ou marginalisées, y compris les migrants, personnes déplacées et réfugiés, les personnes handicapées, les personnes âgées, les personnes LGBTI, les enfants, les jeunes femmes, et les personnes en détention. La liberté d’expression et un accès à une information fiable est également défendue au sein de ces recommandations, demandant aux États de prendre des mesures contre la discrimination, les discours de haine, la xénophobie, le racisme ou la violence résultant de la pandémie, afin de promouvoir l’inclusion et l’unité tout en s’assurant de la proportionnalité dans les mesures d’urgences adoptées. L’urgence sanitaire doit en outre ne pas conduire les États à restreindre les droits des défenseurs des droits de l’homme ou des journalistes. Enfin, et la France y est très attachée tant cet objectif guide l’ensemble de sa diplomatie, tous les efforts pour renforcer la coopération internationale et la paix doivent être de mise.

            Le 26 juin 2020 correspondra aux 75 ans de l’ONU. Les semaines qui suivent cette note seront fondamentales pour pouvoir célébrer cette date anniversaire en cohérence avec les recommandations qu’elle propose. A l’inverse, qu’adviendrait-il de l’ONU ?

26 avril 2020,

Jérémy Mercier, Secrétaire général adjoint et Trésorier de l’Association française pour les Nations Unies (AFNU)

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[1]https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/un_policy_brief_on_human_rights_and_covid_23_april_2020.pdf

[2]https://youtu.be/3zRTzDjV0sQ

[3] https://www.un.org/sg/sites/www.un.org.sg/files/atoms/files/The_Highest_Asperation_A_Call_To_Action_For_Human_Right_English.pdf

[4]https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/actualites-du-ministere/informations-coronavirus-covid-19/coronavirus-declarations-et-communiques/article/covid-19-conseil-de-securite-des-nations-unies-treve-mondiale-q-r-extrait-du

[5]https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/23/voulu-par-paris-bloque-par-washington-le-sommet-des-cinq-membres-permanents-du-conseil-de-securite-est-reporte_6037571_3210.html

[6]https://www.unhcr.org/news/press/2020/4/5ea035ba4/beware-long-term-damage-human-rights-refugee-rights-coronavirus-pandemic.html